Retour sur la matinale du SIGERLy dédiée à l’éclairage public durable

Le 13 septembre 2022, le SIGERLy organisait une matinale destinée à répondre à la question suivante : comment piloter l’éclairage public pour préserver à la fois la biodiversité, réaliser d’importantes économies d’énergie tout en respectant les besoins et les usages des habitants ?
Plus de 70 personnes étaient réunies le 13 septembre au Centre culturel et associatif de Villeurbanne pour assister à la matinale du SIGERLy, animée par Stéphane Signoret. Le Président du Syndicat, Eric Perez, a introduit l’événement en rappelant que l’éclairage public se situe à la confluence de plusieurs impératifs : efficacité énergétique pour faire baisser les consommations, appréhension de l’impact des pollutions lumineuses sur la biodiversité et la santé humaine, création d’une ambiance lumineuse dans les villes. Il a également rappelé le contexte de forte hausse des coûts de l’énergie ainsi que la nécessité plus que jamais prégnante pour les communes de rénover leur parc et de modifier leurs usages de l’éclairage public.
Articulée autour de deux tables rondes, l’objectif de cet événement était de dresser un état des lieux des enjeux liés à l’éclairage public tout en mettant en avant des projets concrets déployés par des communes du territoire. Retour sur cette matinée riche et instructive !
TABLE-RONDE n°1
Intervention de Nathalie Mondy, maîtresse de conférences à l’université Lyon-1, chercheuse au Laboratoire d’écologie des hydrosystèmes naturels et anthropisés
Après avoir rappelé que la lumière naturelle a rythmé la vie depuis son commencement (que ce soit par l’alternance jour / nuit ou la succession des saisons), Nathalie Mondy a expliqué que l’apparition croissante de points lumineux sur Terre a profondément bouleversé l’équilibre établi. Elle a ensuite expliqué la différence entre lumière directe et halo lumineux.
La pollution lumineuse entraîne plusieurs conséquences :
- modification des rythmes naturels, pour les animaux nocturnes comme diurnes (les écosystèmes aquatiques d’eau douce étant les plus impactés),
- incapacité à s’orienter (400 à 1600 insectes sont piégés par le halo d’une lampe en moyenne par nuit),
- stress qui nuit à la santé des animaux voire à des espèces entières (comme le crapaud),
- altération de la synthétisation de la mélatonine (l’hormone du sommeil) qui ne peut être réalisée que la nuit, avec un impact sur de nombreuses fonctions biologiques.
Au-delà des organismes, la lumière nocturne affecte le fonctionnement d’éco-systèmes entiers (comme celui des chauve-souris par exemple), y compris loin des villes.
Intervention de Roger Narboni, Concepteur lumière – fondateur et président de l’agence Concepto
Il a tout d’abord fait un point sur le métier de concepteur-lumière, exercé par 120-130 personnes en France, qui a beaucoup évolué avec le temps. Il a enchaîné avec le questionnement : « quelles obscurités ? ». « Obscurités » au pluriel car les perceptions de l’obscurité varient considérablement selon l’endroit où l’on se trouve, la connaissance que l’on possède du lieu et des personnes que l’on croise, l’état psychologique dans lequel on se trouve…
L’obscurité peut être perçue comme négative mais aussi comme positive, comme il a pu le constater à travers ses propres réalisations, où il laisse parfois le choix aux usagers de circuler dans des parties éclairées ou non. Il s’avère qu’il est fréquent d’observer des personnes marchant dans les parties obscures. Il y a une forme de liberté liée à l’obscurité qui offre des espaces pour se ressourcer. Cette liberté se matérialise notamment dans le projet qu’il a déployé sur le campus urbain de Paris-Saclay, s’appuyant notamment sur l’utilisation de lanternes individuelles pour circuler la nuit.
Roger Narboni a ensuite détaillé les objectifs des trames noires :
- créer des ambiances nocturnes de qualité,
- trouver un équilibre entre espaces publics éclairés, usages nocturnes et maîtrise de la pollution lumineuse,
- sauvegarder l’obscurité en ville,
- préserver la biodiversité nocturne.
Puis a montré et expliqué certaines de ses réalisations en différents endroits du globe (France, Chine, Grèce, Arabie Saoudite…).
Intervention de Paul Verny, responsable de la mission « éclairage et nuisances liées à la lumière » au Cerema
Il a d’emblée tiré un constat : les installations d’éclairage public ne sont pas toujours exemplaires (peu d’adaptation aux évolutions temporelles des usages, allumages prématurés et/ou extinction tardives, surdimensionnement des installations, lumière pas toujours bien maîtrisée). C’est pourquoi la législation s’est renforcée, avec l’arrêté du 27 décembre 2018 pour la prévention, la réduction et la limitation des nuisances lumineuses.
Ce dernier fixe :
- des prescriptions temporelles (allumer seulement sur le temps de nuit),
- des prescriptions techniques (pas plus de 4% du flux lumineux dirigé au-delà de l’horizon, température de lumière de 3000 K maximum, interdiction d’émission de lumière intrusive excessive dans les logements…),
- des prescriptions spécifiques pour les sites à enjeux de biodiversité et d’observation astronomique (comme les parcs nationaux, les réserves naturelles…),
- des prescriptions différenciées selon le type d’installation (9 catégories d’éclairage).
Après avoir détaillé ces points techniques, il conclut sur l’éclairage de demain qui se devra :
- d’être performant et économe,
- de s’adapter aux évolution des besoins (fluctuations journalières, hebdomadaires, saisonnières…),
- d’être en accord avec les enjeux du territoire (préservation de la biodiversité, trames noires…).
Intervention de Nicolas Houel, docteur en urbanisme nocturne et fondateur de l’Observatoire de la nuit
Il souligne dans un premier temps ce paradoxe : aujourd’hui, on perçoit l’extinction de l’éclairage public comme une atteinte aux libertés, or, aux XIIIe / XIVe siècle, c’était la mise en place de l’éclairage public qui était perçue comme telle. La constante ? Le manque d’information, qui engendre la faible acceptabilité.
Nicolas Houel retrace ensuite la construction des représentations culturelles occidentales sur l’obscurité et l’éclairage artificiel. Il explique notamment que l’éclairage public a représenté l’accessoire primordial de la sécurité sur l’espace public jusqu’à ce qu’il soit automatisé. Après avoir présenté trois ouvrages mettant en lumière le plaisir de la pénombre et de l’obscurité, il insiste sur l’enjeu suivant : faire évoluer la perception de l’obscurité majoritairement négative, vers une approche plus vertueuse. Certains chercheurs encouragent même à penser l’obscurité comme un bien commun.
Il revient ensuite sur l’Observatoire de la nuit, dont l’objectif est de toucher tous les publics possibles, afin de transformer l’obscurité en un véritable sujet. Puis termine en offrant une démonstration d’un outil en ligne développé par l’Observatoire de la nuit, une plateforme alimentée par les données fournies par les syndicats d’énergies qui montre tous les points lumineux d’un territoire, de façon précise (localisation, intensité lumineuse…) et actualisée.
TABLE-RONDE n°2
Intervention de Quentin Balaye, conseiller délégué à l’énergie, l’environnement et l’écologie de la commune de Lissieu
Malgré sa petite taille (3000 habitants), Lissieu compte 1 200 points lumineux. L’éclairage public représente environ 10 % du budget de fonctionnement.
En 2020, le parc est assez vétuste (voire obsolète pour certains points lumineux), avec moins de 200 luminaires LED. Il est donc décidé d’adopter une stratégie de résilience, pour maîtriser le budget de fonctionnement et investir massivement dans l’éclairage public.
Tout a débuté avec un audit du patrimoine, grandement facilité par le SIG du SIGERLy, afin d’obtenir une vision réaliste du parc. Cela a permis de construire une stratégie s’articulant autour de deux axes :
- la rénovation du parc, pour réduire les consommations énergétiques (remplacement par de la LED, réduction du nombre de luminaires par mât…) ;
- l’adaptation des usages, un axe plus complexe à mettre en œuvre car il s’agit notamment d’appréhender des ressentis. C’est pourquoi une commission dédiée à l’énergie a été mise en place et ouverte à tous les habitants, qui a conduit au lancement d’une expérimentation d’un an, durant laquelle l’éclairage public sera éteint de minuit à 5h, sauf sur les axes principaux.
A noter que 140 points lumineux ont été renouvelés entre 2021 et 2022. Une transformation qui permettra d’engendrer des gains dès l’année prochaine ! En effet, le retour sur investissement des ces luminaires est inférieur à 15 ans, ce qui correspond à la durée de contributions auprès du SIGERLy.
Intervention de Damien Combet, maire de Chaponost
Cette commune de 9 000 habitants s’étend sur 1 700 hectares, dont 70 % de terres agricoles et naturelles.
Aujourd’hui, l’intégralité des 1600 points lumineux de Chaponost est passée en LED. Un investissement important, mais compensé par la baisse des dépenses d’électricité (- 70% sur une facture annuelle de 113 000 €), confortée par l’abaissement de luminosité pratiqué entre 23h et 6h du matin.
L’heure est maintenant à une nouvelle expérimentation : l’extinction ! Débutée le 23 septembre 2022 à l’occasion de La nuit est belle !, cette expérience durera un an. Elle résulte d’un rapport remis par le Conseil municipal des jeunes plébiscitant l’extinction de l’éclairage public, bénéfique en matière de biodiversité, de santé humaine et de préservation du ciel nocturne. Un rapport qui a fait boule de neige, propulsant ce sujet sur le devant de la scène. L’extinction semblait devenir plus consensuelle qu’il y a quelques années. D’où le lancement de cette expérimentation, qui s’accompagne d’un dispositif de communication important.
Avant de sauter le pas, Chaponost a consulté les communes environnantes pratiquant déjà l’extinction (Charly, Saint-Didier-au-Mont-d’Or, Millery), notamment sur le sujet central de la sécurité. Aucune hausse des cambriolages ou des accidents de la route n’a été observée dans ces communes. Toutefois, l’équipe municipale restera vigilante sur cette question, afin de disposer de chiffres fiables à l’issue de l’expérimentation. A noter que les zones centrales de Chaponost, ainsi que ses entrées et sorties resteront éclairées, afin d’assurer un fonctionnement optimal de la vidéoprotection.
Retrouvez l’interview de Damien Combet
Intervention de Mohammed Boudjellaba, maire de Givors
Dans cette commune de 20 000 habitants, l’équipe municipale précédente avait mis en place l’extinction nocturne, suite à une votation citoyenne. Toutefois, cette mesure n’a pas été accompagnée de pédagogie, ce qui a généré un sentiment d’abandon chez une partie de la population. Par ailleurs, les services de sécurité (secours, gendarmerie, pompiers…) ont rapidement réclamé le rétablissement de l’éclairage public pour être en mesure d’exercer leurs métiers dans de bonnes conditions.
C’est pourquoi le retour de l’éclairage public faisait partie des promesses de campagne de Mohammed Boudjellaba, qu’il a tenue dès le début de son mandat. En parallèle, la commune a investi deux millions d’euros pour améliorer l’éclairage public, à travers deux axes :
- le passage de 50 % du parc en LED (soit plus de 2 000 points lumineux) d’ici 2023,
- la réduction du nombre de luminaires.
Les économies annuelles sur la facture d’électricité sont estimées à 69 000 €.
L’objectif est également d’engager des discussions avec les citoyens, en vue de pratiquer de l’abaissement d’intensité lumineuse ou de l’extinction dans des zones ciblées. Avec un mot d’ordre : « pédagogie » !
Retrouvez l’interview du maire de Givors
Regardez le replay de la matinale sur notre chaîne YouTube !